Image title


Quel mode d’acquisition choisir quand on envisage d’acheter un bien immobilier ? On hésite souvent entre acheter en son nom personnel, à travers une société, une société à responsabilité limitée ou encore en trust. Nombre d’idées reçues doivent être dissipées en matière de transparence et d’éléments liés à la fiscalité. Certains points de droits ont également évolué au fil des années. Nous avons eu le plaisir de rencontrer Me. Ashvin Krishna Dwarka, Notaire à l’île Maurice, Associé de l’Office Notarial de l’Isle-de-France, qui nous a très volontiers éclairé sur le sujet.

Image title

Trois variables fondamentales vont influer sur le choix du mode d’acquisition.

La première est la situation familiale ou statut matrimonial, selon qu’on soit célibataire, marié, en concubinage sous un régime reconnu à l'étranger mais pas reconnu à Maurice, l'existence d 'enfant, ou pas, la volonté ou non de transmettre à son conjoint, son concubin ou ses enfants.

La deuxième variable est la situation patrimoniale, c’est-à-dire ce que l’on possède déjà comme biens et comment cette nouvelle acquisition va s'inscrire dans le reste du patrimoine.

Et la troisième variable, c'est la fiscalité : fiscalité personnelle, fiscalité d'entreprise, fiscalité de la transmission et fiscalité internationale.

De ces trois variables, avec leurs différentes permutations, découlent toute une série de scénarios possibles, et donc pas de solution « préfabriquée », d’où l’importance de se poser les bonnes questions en amont d’une acquisition immobilière.

Un autre élément essentiel à prendre en considération est la raison de l’achat : occupation personnelle du bien, investissement locatif ou volonté de réaliser une plus-value à court ou long terme.


Acquisition en nom propre

Le plus simple quand on est célibataire, ou couple sans enfant, est d’acquérir en son nom propre, surtout si c’est pour une résidence principale. Il faut quand même tenir compte du régime sous lequel on est marié et si on a l'intention de se réserver seul la propriété du bien, ou si l’on souhaite que le conjoint soit également propriétaire.

Acquisition en nom propre – le cas particulier de certains étrangers

Assez souvent, lorsqu’un étranger se propose d’acheter un bien immobilier, l'analyse de toutes les autres variables pourrait a priori conduire à lui conseiller d'acquérir à travers une SPV (Special Purpose Vehicle ou Entité à Vocation Particulière) comme une Société Civile, une Société à Responsabilité Limitée - plus communément appelé Compagnie Limitée à l’île Maurice. Et pourtant, il est possible qu’en raison de la fiscalité du pays d'origine de cette personne, on doive privilégier une solution contre-intuitive, et préférer acquérir en nom propre. Un exemple simple : lorsqu’un citoyen d’un pays qui connait une fiscalité fédérale (c’est-à-dire une fiscalité qui varie selon des états ou régions au sein d’un même pays, comme les États-Unis, la Suisse, l’Inde) achète un bien à l’étranger, en nom propre, il peut bénéficier de certaines exonérations, notamment lors de la revente, et éviter certaines surtaxes sur la plus-value dans son état de résidence. L’achat via une SPV pourrait conduire à une fiscalité plus élevée dans son état de résidence.

Ces cas particuliers illustrent la nécessité d’une analyse juridique et fiscale personnalisée du projet d’achat immobilier.


Société Civile

En règle générale, la société civile sera privilégiée dans une optique de transmission.

Sur le plan fiscal, la société civile est considérée comme « transparente ». C’est-à-dire que du point de vue de l'impôt sur le revenu, c'est comme si elle n’existait pas. Ce sont les associés qui sont directement imposés en leur nom propre. Donc, il n’y a pas d'avantage fiscal particulier à utiliser une société civile, mais pas d'inconvénient non plus (si l’on compare à une acquisition en nom propre).

Toutefois, en matière de transmission, c'est un outil extrêmement intéressant.

Un cas classique : on achète un bien en son nom propre avec son épouse, ayant deux enfants en bas âge, et survient un décès sans testament. Les héritiers sont au nombre de trois, les deux enfants mineurs et l’épouse. Si, en raison du drame, il faut vendre la maison pour s'installer ailleurs, il faut nécessairement que le conjoint survivant obtienne une autorisation d'un juge, parce que les enfants mineurs codétiennent le bien. Cette autorisation nécessitera une procédure judiciaire qui peut durer jusqu'à un an. Une procédure compliquée qui a été mise en place pour la protection des mineurs. Pour éviter ce scénario, si deux conjoints achètent un bien à travers une société civile, au décès d’un des conjoints, ce sont ses parts sociales qui vont être transmises à la conjointe et aux enfants.

Le bien immobilier continue à être détenu par la société. La société aura comme gérant le conjoint survivant. Celui-ci aura tous les pouvoirs pour vendre le bien et distribuer le produit de cette vente entre lui et les enfants. C'est la société qui vend le bien, et non pas les sociétaires.


Société Civile - Etrangers

La société civile peut être très utile aussi pour un étranger lorsqu’il achète un bien à l’île Maurice, notamment pour préparer une transmission à ses enfants ou autres. Les sociétés civiles sont particulièrement adaptées aux couples non mariés et/ou aux couples qui sont unis sous un régime étranger qui n'est pas reconnu à Maurice, par exemple, le PACS français.


Société civile – Transparence vs idées reçues

Aujourd’hui, il est facile de vérifier le nom d'une société civile et l'identité des associés – l’anonymat n'est plus possible.

Donc il est futile de s’imaginer que d’acheter un bien immobilier en Société Civile permettrait en quelque sorte de « dissimuler » son identité comme propriétaire d’un bien immobilier. Par ailleurs, il fut un temps, des années 1980 jusqu'à environ 2005, où les cessions de parts de sociétés immobilières présentaient un avantage fiscal par rapport à des ventes directes de biens immobiliers. C’était alors un quasi-automatisme que de créer une société civile pour détenir un bien.

On entend encore aujourd’hui : « J 'ai entendu dire que mon oncle avait de son temps acheté en société civile et avait économisé des impôts ou droits d’enregistrement dessus. » Ce raisonnement n’est plus valable.

Une société civile, aujourd’hui, est fiscalement neutre, ne présentant donc ni avantage, ni inconvénient fiscal, et plus aucune « opacité » fiscale.


Etrangers – Acquisition en nom personnel ou Société civile ?

Le choix entre les deux est pratiquement le même que pour un Mauricien. On privilégie souvent la société civile lorsqu’il y a cette logique de transmission patrimoniale. Pour un étranger, il y a un petit avantage additionnel, c'est la facilité de gestion. Parce qu’au lieu d’avoir à donner une procuration à quelqu'un pour gérer un bien (on parle ici de gestion administrative vis-à-vis des autorités, pas de la gestion locative du bien), on peut tout simplement déléguer la gérance de la société civile pour un temps limité. Si on a acheté un bien et qu’on ne compte y habiter, par exemple, que six mois de l'année, pendant les six mois restants on peut déléguer la gérance de la société à quelqu'un qui est sur place pour le paiement des charges, la copropriété, le renouvellement des assurances, toutes les formalités administratives qui sont liées à la détention de ce bien.

Dans le cas particulier de couples pacsés, le conjoint d’un propriétaire individuel n’aurait pas de droit automatique de représenter ce dernier à Maurice. Or, à travers une société civile, si les deux conjoints sont cogérants, chacun peut représenter la société vis-à-vis du syndic, des autorités publiques, de l'administration, de l 'EDB, etc.

La raison principale d’acheter à travers une société civile demeure la préparation de la transmission patrimoniale. Elle permet d'inclure les enfants au capital de la société. De plus, pour un étranger vis-à-vis de l’EDB, lors de l 'acquisition en société, où on retrouve par exemple les parents et les enfants, la société pourra, parmi ses membres, désigner le titulaire principal du permis de résident rattaché au bien. On peut ainsi désigner un enfant ou un conjoint non-marié comme titulaire du permis.



« Limited Company » (Société à Responsabilité Limitée)

La Limited Company, comme son nom l’indique, est une structure à responsabilité limitée. On la privilégiera pour un investissement, soit locatif ou à long terme, lorsqu'on destine le bien à la revente.

Pourquoi est-ce intéressant pour l'investissement locatif ? C 'est évidemment parce que si un locataire subit un dommage quelconque dans le bien, y compris un dommage corporel, l’actionnaire ne verra pas sa responsabilité personnelle engagée. C'est uniquement la limited company qui assumera le risque locatif.

D'un point de vue fiscal, les revenus locatifs de la limited company seront imposés à un taux unique de 15%, et les dividendes sont ensuite exonérés d'impôts. Alors que pour un achat en son nom personnel ou à travers une société civile, dépendant de la tranche d'imposition, on peut atteindre jusqu’à 20% de fiscalité sur le revenu.

Il est important de noter que si on destine un bien à une occupation personnelle, il faut éviter de l’acquérir via une société à responsabilité limitée (ou Limited Company). En effet, une double taxation est appliquée pour le directeur ou l'actionnaire occupant, le loyer étant traité comme avantage en nature, égal à la valeur locative du bien. Si le bien a une valeur locative de 100 000 roupies mensuellement, l’actionnaire (qui est aussi le bénéficiaire du bien) sera imposé sur ce revenu en nature, mais pis encore, la société aussi sera supposée avoir encaissé ce loyer notionnel et sera donc aussi imposée (Corporate Tax). En tout, cela représente une charge fiscale de 30% de la valeur locative de son propre bien.


Trust

Le Trust est à manier avec beaucoup de précautions. Le trust n’est pas à la portée de personnes inexpérimentées. La plupart des pays européens ont mis en place tout un arsenal de mesures fiscales répressives vis-à-vis du trust. L'exemple le plus flagrant est la France. Autant un Français qui acquiert un bien à travers une société civile bénéficiera de tous les avantages de la convention fiscale France-Maurice, et idem pour société à responsabilité limitée, autant s'il constitue un trust, il se retrouvera considérablement pénalisé. Au moment du décès, son patrimoine subira une fiscalité dépassant 60%, sans compter les coûts annuels de rémunération de l’administrateur – lequel administrateur ponctionnera aussi sur le patrimoine mis en trust toutes les pénalités fiscales qui seront éventuellement dues.

L’usage judicieux du trust serait plutôt limité aux Anglais et Sud-Africains parce que ce sont principalement les deux seuls pays qui n'ont pas une fiscalité anormalement agressive vis-à-vis du trust. Ce sont aussi deux pays qui ne pratiquent pas la « réserve héréditaire ». Une fois que les biens ont été isolés dans un trust, il existe une grande liberté de désignation des bénéficiaires qui peuvent ne pas être les enfants. On peut donc limiter aux enfants les droits d'utilisation du bien, sans leur octroyer le droit de le vendre. Dans ces circonstances, le trust devient un outil très constructif.

Si on vit ou qu’on possède des biens dans un pays qui pratique la réserve héréditaire, le trust sera nécessairement soumis à requalification de la part des juges, et la réserve héréditaire sera appliquée. A contrario, les pays de droit anglo-saxon n'ayant pas de réserve héréditaire (liberté testamentaire absolue) permettent de détenir ses biens dans un trust et ne pas les léguer aux enfants, ou limiter leurs droits d'utilisation des biens, voire leur interdire la possibilité de les vendre.


Trust – dissiper certaines idées reçues

Il existe une idée reçue sur le trust selon laquelle il permettrait « la dissimulation des biens ». Dans une certaine mesure, jusqu’en 2016, il était en effet possible de masquer l’identité des bénéficiaires d’un trust (et encore, au prix de structures ressemblant à de véritables « usines à gaz »).

Pour la petite histoire…

C’est Pascal Saint-Amans, pendant longtemps directeur de politique fiscale à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), qui a mis en place, entre autres, tous les accords d'échanges automatiques d'informations fiscales entre plus de 100 pays au monde. Avant sa réforme, si un État voulait interroger un autre État sur les affaires fiscales d’un de ses citoyens installés à l'étranger, le premier devait passer par une longue procédure judiciaire et cibler spécifiquement un aspect du patrimoine de son citoyen expatrié.

Depuis les réformes fiscales de l'OCDE, sous la houlette de Saint-Amans, ces échanges d'information sont automatiques. Cela signifie donc que, par exemple, dès qu'un Français s 'installe à Maurice, y ouvre un compte, l’information est automatiquement transmise en France. De ce fait, si la personne a acheté ses biens en toute légalité, à travers une structure qui est transparente, elle ne rencontrera aucun problème au niveau de son administration fiscale et, mieux encore, elle pourra bénéficier des dispositions de la convention fiscale qui existe entre deux pays.

Le corollaire de cette réforme fiscale a été l’obligation, pour tous ces pays qui échangent des informations d'identifier les bénéficiaires ultimes, les ayants droits économiques ultimes, les « ultimate beneficial owners » (bénéficiaires effectifs ultimes) de toute société civile, société à responsabilité limitée, association, trust et fondation.

Donc, celui qui aurait malhabilement tenté de dissimuler sa qualité de bénéficiaire d’un trust ou d’une fondation se trouverait automatiquement rapporté à l’autorité fiscale de son pays de résidence, et subirait sans doute de fortes pénalités.

De ce fait, depuis les réformes de Pascal Saint-Amans, il est tout simplement impossible de créer ou de détenir un quelconque trust « opaque ».  

Seuls une poignée de pays ont refusé d’adhérer aux échanges d'informations automatiques, notamment la Libye, l'Afghanistan, le Myanmar, ou encore la Corée du Nord, et aussi… les Etats-Unis. Les États-Unis n'y ont pas adhéré parce qu'ils ont leur propre système de collecte d'informations, le FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act). Quant aux autres pays non-adhérents, on pourrait théoriquement y loger un trust « opaque », mais il faudrait vraiment être insensé pour envisager de déplacer son patrimoine en Corée du Nord !

Pour beaucoup de Mauriciens, le trust apparait comme un moyen de se dissocier de son patrimoine pour éviter que les créanciers ne s’attaquent à ses biens ou limiter les droits de ses héritiers, en basculant tous ses biens dans le trust. Ce n’est pas aussi simple ! Sous l'Insolvency Act de Maurice, on peut réintégrer ces biens dans le patrimoine personnel d’un débiteur. En outre, Maurice pratique la « réserve héréditaire » selon laquelle on ne peut pas déshériter ses enfants – donc le trust ne pourra avoir qu’un effet limité en la matière.

Ainsi, on ne peut plus parler d’opacité en ce qui concerne le trust aujourd’hui. Au contraire, étant donné la réputation des trusts, les banques, les sociétés de gestion et les professionnels du droit qui interviennent dans ces transactions sont beaucoup plus exigeants quant à l'identification des bénéficiaires. De ce fait, le trust n’est réservé qu'à des situations qui intéressent principalement les Sud-Africains et les Anglais et d’autres situations spécifiques telles que la transmission de patrimoine encadrée, pour éviter que les enfants ne dilapident le patrimoine après le décès, par exemple.

Certains Mauriciens, tout comme des Sud-Africains ou Britanniques, et ce dépendant de l’importance de leur patrimoine, voudront constituer un trust : non pas pour y transférer leurs biens pour les raisons évoquées plus haut, mais plutôt pour protéger un patrimoine immobilier qu’ils se constituent et l’exclure du patrimoine successoral. L’objectif est alors de s 'assurer que tous ces biens mis en trust ne seront pas, au moment du décès, directement accessibles aux enfants en succession, s’ils n’ont peut-être pas la maturité ou la compétence nécessaire pour les gérer.







Partager